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Au rythme des saisons : la récolte du thé
Entourée de légendes et de croyances sur les saisons, la culture du thé est intimement liée aux influences climatiques : chaque jardin produisant des thés de qualité va faire l’objet d’attentions toutes particulières de la part des planteurs et, ainsi, lui conférer ses lettres de noblesse.
- Article extrait du magazine Bruits de Palais 55 - page 5 -
Tout jardin est, d’abord, l’apprentissage du temps, du temps qu’il fait, la pluie, le vent, le soleil, et le temps qui passe, le cycle des saisons.
Erik Orsenna (écrivain et académicien français)
Le climat est d’une influence cruciale sur le développement du théier et de la qualité de ses arômes : il détermine la qualité et la singularité d’une récolte. Nombre de Grands Crus de thés aux parfums uniques et exceptionnels suivent par exemple un calendrier des récoltes bien précis. Souvent, l’homme a essayé de dompter les éléments et de reproduire artificiellement les conditions de culture spécifiques à telle ou telle région, mais il est impossible d’égaler la richesse aromatique de ces thés rares. Ceux-ci se sont épanouis des mois durant et ont réagi à des conditions climatiques complexes et inimitables...
Religion, légendes autour des saisons... et thé
La récolte du thé est ponctuée d’événements, de rituels et de croyances typiques à chaque lieu de culture, autant de fêtes et de légendes qui structurent la vie des planteurs et le calendrier des récoltes.
En Chine, par exemple, l’équivalent de la Toussaint (fête des défunts) ou Qingming - Pure Lumière - annonce l’arrivée du printemps. Mais elle annonce surtout le temps de manufacturer le premier thé de l’année. Qingming correspond aux deux premières semaines d’avril et est marquée par la fête de Qingming, le 5 avril, qui est la journée nationale de nettoyage des tombes. La fête de Qingming est en l’honneur de Jiezitui. Selon la légende, ce dernier était un fidèle serviteur du seigneur Jin. Il aurait péri dans l’incendie d’une forêt en avril. Afin de lui rendre hommage, le duc Jin interdit d’allumer du feu le jour anniversaire de la mort de Jiezitui. Lorsqu’il retourna un an plus tard à l’endroit de la mort de Jiezitui, il découvrit une branche de saule. Chacun accrocha alors une branche de saule à sa porte afin de commémorer Jiezitui. La légende de Jiezitui a laissé des traces : lors de cette fête, il est très fréquent d’utiliser des branches de saule pour leurs vertus protectrices et de manger froid afin de ne pas allumer le feu. Cette période est importante dans le calendrier du thé. Les thés récoltés sont très attendus puisqu’ils sont les premiers de l’année. On les appelle les thés de Pure Lumière ou thés de Qingming. Cette appellation est un réel gage de qualité.
En Inde, la vie des plantations s’articule elle aussi autour des fêtes religieuses et des jours fériés. La fête de Navratri - signifiant "neuf nuits" - stoppe la manufacture du thé une semaine à l’automne. Très célébrée dans le nord de l’Inde, cette fête est en l’honneur de la déesse Durga. Lors d’une bataille qui dura neuf jours et neuf nuits, Durga a aidé le dieu Râma à délivrer son épouse séquestrée par le démon Râvana.
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Tout un imaginaire de légendes et de symboles existe autour des saisons. Au Japon, les cerisiers en fleurs sont certainement le plus fort symbole associé à l’avènement du printemps. On retrouve ce motif aussi bien sur les kimonos traditionnels que sur les boîtes en feuilles de mûrier qui servent à conserver le thé - les boîtes washi.
L’histoire de l’Oriental Beauty explique pourquoi ce thé est récolté à Taïwan en été, de fin juin à fin août. A l’origine, il s’agirait d’un thé "raté". Toute la culture a été infestée par des insectes, les paoli, appelés également mouches vertes. La population étant pauvre, la récolte a tout de même eu lieu pour, finalement, donner ce thé surprenant. Avec le temps, les planteurs se sont rendu compte que ces insectes arrivaient chaque année en été. Pour retrouver les notes uniques, à la fois fruitées et boisées, développées lors de cette récolte "ratée", ils décidèrent d’attendre chaque année la période d’activité du paoli avant de commencer la récolte. Ce rituel de récolte n’est généralement pas suivi dans la région de Darjeeling, les planteurs préfèrent lutter contre les attaques des jassid - cousins du paoli taïwanais. Seuls quelques jardins, aptes à maîtriser parfaitement le processus, laissent agir les jassid. Ce sont les Darjeeling récolte d’été “muscatel”.
Cet imaginaire collectif, ces rituels et ces croyances liés aux saisons soulignent leur importance sur la qualité des récoltes.
L’influence des saisons sur les notes aromatiques
Le moment de récolte, parfois signalé dans l’appellation du thé, est un indicateur de saveur et de qualité. Cela se justifie par l’influence des saisons, ou du climat, sur la nature des notes aromatiques et leur richesse.
Le théier pousse dans des régions au climat chaud et humide, avec des pluies régulières, de préférence réparties sur toute l’année. La température optimale est de 18°C à 20°C et doit présenter de faibles variations journalières. Le niveau des pluies agit à la fois sur le volume et sur le thé en lui-même. Un climat trop humide donne une qualité inférieure alors qu’une saison sèche entraîne souvent des récoltes exceptionnelles. Le climat influe directement sur les caractéristiques organoleptiques du thé. Par exemple, le district d’Uva - Sri Lanka - est marqué par une saison de vents secs de juin à septembre. Cette saisonnalité particulière confère aux thés des Uva leurs principales caractéristiques : une infusion cuivrée, des thés moelleux et aromatiques au goût rond, mais moins corsés que les autres thés du Sri Lanka.
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Les thés de Darjeeling sont également particulièrement influencés par les saisons de récolte. Les Darjeeling de printemps sont des thés rares, d’une très grande richesse aromatique, et dont la finesse leur a valu le surnom de "Champagne du thé". Pendant tout l’hiver, le théier a été laissé au repos et ses pousses se sont chargées en huiles essentielles. Les toutes premières cueillettes de l’année contiennent une très grande proportion de ces jeunes pousses, appelées "golden tips", et sont d’un grade souvent très élevé. On reconnaît aisément les Darjeeling de printemps à la teinte verte que prend la feuille à l’infusion ; jeunes et légers, leur bouquet est frais et vif. La feuille des Darjeeling d’été est plus sombre, de couleur brune et de petite taille. Son infusion est brillante et cuivrée, au bouquet puissant. La liqueur, dorée et ronde, est plus corsée. Également très aromatique et relativement astringente, elle est longue en bouche et a souvent un goût de fruit mûr. Le Darjeeling de mousson est de moindre qualité que ces deux précédentes récoltes : la pluie est si forte que les théiers poussent deux fois plus vite, développant ainsi des feuilles gorgées d’eau, aux arômes insipides. Les Darjeeling d’automne, quant à eux, donnent des thés à larges feuilles, la liqueur est plus sombre que celle d’une deuxième récolte et l’arôme plus puissant.
Les récoltes, en particulier celles de printemps, sont déterminées par les conditions climatiques qui précèdent la cueillette : la qualité, la saveur des thés en dépendent étroitement et un même jardin pourra donner des thés très différents. Chaque lot, même s’il provient d’un même jardin, a des caractéristiques organoleptiques distinctes qui résultent des conditions climatiques le jour de la récolte mais aussi de la qualité de la cueillette et de la manufacture des feuilles. C’est pour cette raison que toutes les récoltes sont non seulement identifiées par un grade et le nom du jardin mais aussi par un numéro de lot (lettres "DJ" suivies d’un nombre). Quel que soit le pays de récolte, la période de cueillette est souvent exprimée dans le nom du thé lorsqu’elle influe sur la qualité de celui-ci. En Inde, les noms donnés sont plutôt explicites : 1st flush - 1ère récolte - pour la récolte de printemps, 2nd flush - 2nde récolte - pour la récolte d’été et 3rd flush - 3ème récolte - pour la récolte d’hiver. En Chine, on parle de thés de Qingming pour la récolte du premier thé vert de l’année (vers mi-avril). Au Japon, la première récolte de l’année (en avril) est vendue sous le nom d’Ichibancha - la première cueillette du thé -, les suivantes sous les noms de Nibancha - la deuxième cueillette du thé - et de Yonbancha - la récolte d’automne ou dernière cueillette.
Le climat est par définition imprévisible. Le niveau des pluies, le niveau d’ensoleillement et d’humidité varient d’une année à l’autre. De ce fait, chaque récolte est unique et rare. Le calendrier des récoltes vous fera découvrir le rythme des récoltes selon les régions et les types de thé. Il vous laissera imaginer la richesse de ces grands crus.
Pallier les intempéries : une nécessité
Malgré les aléas climatiques, les acheteurs de thé n’en sont pas pour le moins exigeants. Les planteurs ont dû développer des outils et des techniques afin d’être les moins dépendants possible des aléas climatiques... et du calendrier ! L’homme se fait démiurge en palliant ou reproduisant les conditions climatiques.
Comme dans de nombreuses autres cultures, la sécheresse est l’un des pires ennemis du planteur de thé. L’humidité est un facteur essentiel pour que le théier se développe. Les planteurs utilisent donc souvent des procédés d’irrigation par le sol. Afin de retrouver le phénomène d’humidité dans l’air, ils se sont inspirés de la brume - humidificateur naturel - présente en altitude dans certaines régions comme le Thiashola dans le Sud de l’Inde. Il est fréquent de croiser des brumisateurs installés dans les plantations au climat aride : les thés sont vaporisés fréquemment et retrouvent ainsi l’humidité nécessaire.
Le Japon est le pays qui s’est le plus illustré dans son ultra-sophistication des procédés. Il est fréquent de voir des hommes se déplacer dans les plantations avec des aspirateurs à gouttes afin de protéger les théiers de la pluie. De grands ventilateurs à pales s’élèvent au milieu des plantations : il s’agit de brasseurs d’air antigel pour lutter contre le froid. Les japonais ont également su tirer des enseignements de l’effet du climat sur les qualités du thé. Ils ont trouvé des moyens de rétablir artificiellement certaines conditions afin de développer des thés précieux aux qualités subtiles. Kahei Yamamoto a par exemple mis au point en 1835 le procédé d’ombrage : trois semaines avant la récolte, on prive les théiers de lumière soit avec un paillage (méthode traditionnelle) soit avec des toiles ajourées. Cet ombrage filtre 80% des rayons du soleil. Sur le plan gustatif, le thé gagne en moelleux et en finesse, et va développer moins d’amertume. Le Gyokuro– Perle de rosée – est issu de ce procédé (voir BDP45, « Les thés verts du Japon »).
Au Palais des Thés, nous avons conscience de l’importance des saisons sur la qualité des thés. C’est cette philosophie qui nous engage à vous proposer continuellement de nouveaux thés rares et éphémères. Tout au long de l’année, nous souhaitons vous faire découvrir les meilleures récoltes de chaque type de thé.